L’esport, une usine à rêves qui inquiète les familles
écrit par Cyberbase
le
source de l’article : Paul Arrivé mis à jour le 8 novembre 2019
pour L’équipe.fr
« Attendez, je vais aller voir les messages directement. On en reçoit tellement. Il y a 11 minutes, 15 minutes, 47 minutes, on en a cinq qui datent d’il y a une heure, sept d’il y a deux heures… » Responsable de la communication de Team Vitality, le plus important club d’esport français, Mickaël Le Roscouët navigue dans les messages privés des comptes Twitter et Instagram. Tous les jours, ils sont des dizaines à tenter leur chance avec un texte qui ne varie pas beaucoup d’une proposition à l’autre : « Je peux rejoindre votre équipe ? » lire aussi
Un milieu qui se structure
Cyril**, 14 ans, Adam, 11 ans… Ils sont rarement majeurs, souvent sérieux dans leur démarche et leur nombre ne faiblit pas depuis deux ans. « Généralement, on nous propose de venir combler un vide sur un jeu où l’on n’a pas de joueurs, indique Mickaël Le Roscouët. Au lancement d' »Apex Legends » (début 2019), on avait reçu des tonnes de candidatures. Il y avait beaucoup de messages quand on était sur « Call of Duty » également. Mais c’est pour « Fortnite » qu’on en reçoit le plus, et cela concerne beaucoup de très jeunes. Sans doute parce que le modèle du jeu donne l’impression qu’on peut devenir professionnel du jour au lendemain. » lire aussi
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Né en 2013, Vitality est très loin d’être le seul club français dans ce cas. Solary, LDLC, LeStream, GamersOrigin… Sur leurs réseaux sociaux et ceux de leurs joueurs, les propositions affluent quotidiennement. « On n’a pas les moyens de répondre à tout le monde, poursuit le responsable de la communication de Vitality. On essaie de faire un peu de prévention en expliquant qu’on ne devient pas professionnel comme ça, qu’il faut faire ses preuves en n’abandonnant surtout pas ses études… Je pense que de plus en plus de gens se rendent compte que le milieu se structure et qu’on ne peut pas entrer chez nous simplement en nous envoyant un mail. Mais les gamins qui gagnent plusieurs parties de suite ne se rendent pas forcément compte que ça ne veut pas dire qu’ils ont le niveau requis. Leurs parents encore moins. »
Un manque de communication autour de l’esport
Gaelle Houssein, mère de Corentin « Gotaga » Houssein, 26 ans, ex-joueur professionnel de « Call of Duty » devenu streamer à succès sur Fortnite (près de deux millions d’abonnés sur Twitch, 3,5 millions sur YouTube), est aujourd’hui en première ligne. Presque tous les jours, cette femme de 50 ans qui travaille en électroradiologie médicale reçoit, elle aussi, des messages sur ses réseaux sociaux. D’enfants, de parents se disant « démunis » face à la situation. Et elle prend le temps de leur répondre.
On poursuit le développement du #esport sur @lequipe avec un gros WE : la finale des #Worlds2019 dimanche en live sur @lequipe , 8 pages dans le quotidien demain et la couverture du @lemaglequipe samedi pic.twitter.com/2DLeJ2mSRM— Emmanuel Alix (@emmanuelalix) 7 novembre 2019
« C’est difficile de le faire de façon précise à chaque fois, les profils sont très différents, explique-t-elle. Certains parents ont complètement lâché prise, d’autres s’intéressent au sujet et me demandent quoi faire… Je pense qu’il faut se pencher avant tout sur les enfants, voir en quoi consistent leurs jeux, leurs passions. Mais il y a un manque d’information évident, de communication autour de l’engouement des jeunes pour l’esport. Le milieu du jeu vidéo m’était inconnu au début, j’ai probablement eu des réactions maladroites avec mon fils. Au bout d’un certain temps, on s’est demandé ce qui le rendait heureux. Mais le monde de l’esport a évolué tellement vite, il y a tant d’argent en jeu désormais, des millions de dollars sur « Fortnite », par exemple, que beaucoup sont perdus. » Surtout dans un domaine longtemps diabolisé.
« Beaucoup pensent que l’esport est un milieu facile, qu’il suffit d’un peu de persévérance pour percer »
Nathalie Fontaine, la mère de Mathieu Herbaut
Un
constat partagé par Nathalie Fontaine, mère de Mathieu « ZywOo »
Herbaut (19 ans, équipe Vitality), nouvelle star de « Counter-Strike »
et déjà considéré comme l’un des tout meilleurs joueurs du monde après
un an au plus haut niveau seulement. Repéré dès l’âge de 16 ans –
beaucoup pensaient alors que le prodige trichait -, il est alors
convoité par plusieurs grosses écuries. Mais sa maman reste inflexible :
« Je voulais qu’il ait son bac d’abord, rembobine-t-elle. Surtout
par peur de la suite, ça reste un milieu potentiellement éphémère et
aux perspectives vagues. Ça n’a pas été facile de le lui faire
accepter. »
Pendant de longs mois, ZywOo jongle donc entre ses cours, les stages et les entraînements avec le club français aAa, qui aide sa mère à encadrer le jeune talent. « On avait un deal, raconte Nathalie Fontaine. Il devait travailler à l’école mais quand il rentrait à la maison, il posait son sac et n’y touchait plus. Parce qu’il devait s’entraîner, parfois jusqu’à minuit. Un employeur m’avait proposé de le prendre en stage sans le faire travailler, afin qu’il puisse se concentrer sur « Counter-Strike ». J’ai refusé. Il ne faut pas qu’il oublie que ce qu’il fait est rare et que tout peut s’arrêter. Je voulais qu’il sache ce qu’est la vie. » Mathieu Herbaut n’a jamais raté de cours et obtenu en 2018 son bac électrotechnique avec mention. « Beaucoup pensent que l’esport est un milieu facile, qu’il suffit d’un peu de persévérance pour percer, poursuit la maman, qui occupe à la ville un job de secrétaire administrative. Mais il n’y a pas de structure, de cursus esport-études, d’écoles en mesure d’encadrer les enfants dans leur pratique et orienter les parents. J’ai eu la chance que Mathieu soit bon, mais combien de fois on lui demande comment il a fait pour être là, devenir ce qu’il est devenu… »
Un grand flou persiste sur le niveau réel des compétiteurs
Comme le cursus esport-études n’existe pas et que les clubs locaux – comme il en existe partout dans le sport dit « traditionnel » – sont encore très rares, le repérage des talents dans la discipline (grâce à l’oeil de scouts mais aussi par le biais du bon vieux bouche-à-oreille) se fait quasi uniquement en ligne et plus rarement sur les tournois physiques. Certains jeux bénéficient de classements internes qui permettent de distinguer les très bons joueurs, mais pas tous. Ainsi, un grand flou persiste sur le niveau réel des compétiteurs : à quel moment un aspirant professionnel peut-il comprendre qu’il n’a pas le niveau pour atteindre son but si aucun élément ne lui permet de le savoir et que personne ne peut le conseiller ou l’orienter ?
Si
quantifier le nombre de jeunes désirant se faire une place dans
l’esport de haut niveau autrement qu’en compilant les messages reçus par
les clubs est très difficile, le phénomène est bel et bien réel et
alarmant. Des initiatives naissent, cependant. Début septembre, la Tony
Parker Adéquat Academy – structure liant sport, études et processus de
reconversion créée par l’ancien joueur des Spurs à Lyon – a ouvert un
cursus esport en association avec la Team LDLC. Sur League of Legends
d’abord, autour de quatre lycéens et d’un cinquième joueur âgé de 22
ans, préalablement en décrochage scolaire. Tous les jours, les jeunes
hommes jonglent entre cours, entraînement sur le jeu et préparation
physique et mentale. « Ils ont exactement le même rythme que les jeunes basketteurs de l’académie », résume Stéphan Euthine, directeur de la Team LDLC, qui assure avoir convaincu Tony Parker du projet « en 15 minutes ».
« Il faut indiquer aux jeunes une voie qui ne mène pas à la déscolarisation »
Stéphan Euthine, directeur de la Team LDLC
Une initiative qui rappelle le sport-études, en guise de test pour le futur ? « Ce qui m’intéresse, c’est l’éducation, poursuit celui qui est aussi président de France Esports, association à but non lucratif qui fait office de fédération. L’objectif n’est pas tant de repérer des joueurs pour qu’ils soient bons mais de comprendre le phénomène de l’esport afin d’y répondre de manière efficace. Il faut indiquer aux jeunes une voie qui ne mène pas à la déscolarisation. » D’autres initiatives privées – des « écoles de gaming », actuellement au nombre d’une douzaine en France – ont vu le jour, associant jeu pour aspirants professionnels et cours en tout genre pour se faire une place dans le milieu. Mais pour Stéphan Euthine, « à quelques exceptions près, ce n’est pas post-bac que l’on va repérer les nouveaux talents ».
Et dans le domaine public ? Les Assises de l’esport, organisées conjointement par le ministère de l’Économie et des Finances et celui des Sports au printemps dernier, ont permis d’établir une feuille de route pour l’horizon 2025 incluant « le développement d’une pratique esportive responsable et socialement valorisée » et « la création d’une filière de formation ». Une première prise de conscience vers une structuration nécessaire.
*Selon le dernier baromètre de France Esports – Médiamétrie.
**Les noms ont été changés.
Une réponse à “L’esport, une usine à rêves qui inquiète les familles”
baptiste · à 14h35
ceci est très cool.
Merci de proposer un contenu de telle qualité