Ce que Tik Tok dit de vos ados
écrit par Cyberbase
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Ou pourquoi se mettre en scène pour savoir qui l’on est ?
par Angela Blachère le super media
Tik Tok est le nouveau réseau social préféré des adolescent·e.s. Le concept ? Mettre en ligne à destination de ses abonné·e·s des vidéos courtes sur fond musical, réalisées à l’aide des outils de montage proposés par l’application. Tik Tok a vu son nombre d’utilisateurs et d’utilisatrices exploser durant le confinement, ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il s’agisse d’un lieu de sociabilisation très important pour les collégien·nes et les lycéen·nes.
Au sein de ce temple du divertissement sur smartphone, s’enchainent chorégraphies de danse, chants en playback, tutos, et expériences plus divertissantes les unes que les autres. Tik Tok, c’est un peu l’opposé de Wattpad : en l’absence de texte, c’est avec leurs corps que les internautes expriment leur créativité !
J’y vais super souvent car ça passe le temps et on se marre bien avec mes potes. Je suis abonné à des comptes de gens qui font des expériences avec des billes à eau, mettent des Mentos dans du coca ou font des pranks (pièges) à leurs ami·es. Parfois c’est vraiment n’importe quoi !
Kilian, 14 ans
Se pose alors la question de l’exposition de soi par des utilisateurs et utilisatrices souvent très jeunes. La majorité des usagers de Tik Tok ont entre 13 et 17 ans (38,09 %). Puis viennent les 18-24 ans (36,85 %) et les 25-34 ans (19,99 %) selon les chiffres 2019 du Blog du Modérateur.
Bienvenue au grand tribunal de l’image
Le regard des autres occupe une très grande importance dans la vie de la plupart des adolescent·es. Mais alors pourquoi prendre le risque de s’exposer en vidéo sur internet ?
Jocelyn Lachance est socioanthropologue de l’adolescence. Il explique dans son article «Le corps en images des adolescents hypermodernes» que c’est justement cette incertitude quant à la façon dont seront jugées les images et vidéos produites qui renforce le sentiment d’appartenance à un groupe qui possède ses propres règles.
C’est une démarche de présentation de son corps intimement liée à une démarche de construction de son identité qu’il s’agit de présenter à la cour. Comme au tribunal, celui dont on atteste ou non la crédibilité prend la parole. Il s’expose et s’affirme. La salle d’audience est ouverte, nombreux sont celles et ceux à pouvoir y assister. Mais peu joueront le rôle des juré·es, en s’impliquant dans la « cause » présentée, en émettant un jugement.
Jocelyn Lachance, « Le corps en image des adolescents hypermodernes », Corps, 2016/1 (N° 14)
Une notoriété en ligne qui en fait rêver plus d’un·e
L’objectif de Tik Tok est que ses utilisatrices et utilisateurs regardent et mettent en ligne un maximum de vidéos… afin qu’ils ou elles visionnent un maximum de publicités. Car tel est son modèle économique !
La notoriété en ligne est un fantasme pour beaucoup de préadolescent·es bercés sur internet par les success stories des influenceurs et influcenceuses riches et admiré·es. La consécration ultime : remonter sur la page d’accueil de Tik Tok. Un flux automatique y recense les meilleures vidéos du moment.
Pour aider ses utilisatrices et utilisateurs à vaincre leur timidité, l’application va les aider à se trouver beaux et cools. Elle met à leur disposition des filtres et des options de montage simples et bluffants, leur permettant d’explorer leur propre image. D’autre part, Tik Tok propose chaque semaine des challenges pour permettre à l’utilisateur ou l’utilisatrice de s’inscrire dans toute une chaîne de vidéos similaires. Il ou elle va ainsi pouvoir être référencé·e, mais aussi (et surtout) se fondre dans la masse.
Plus les enfants grandissent, plus ils arrivent à prendre du recul par rapport à cette quête du nombre d’abonné·es et de likes. En général la bascule s’opère lors de l’entrée au lycée. Il vont ensuite avoir une approche plus qualitative de leur communauté et commencer à faire le tri sur leurs réseaux sociaux, chercher à mieux maîtriser leur identité numérique. Finalement, il faut que jeunesse se passe ».
Elodie Kredens, chercheuse en sciences de l’information et de la communication.
Les réseaux sociaux ont changé la relation entre le fan et son idole. Les influenceurs et influenceuses publient souvent plusieurs vidéos dans la journée pour garder leur communauté active. Ils y mettent en scène leur vie quotidienne d’une manière qui semble spontanée (indice : il n’est est rien). Une option de montage permet même de faire une chorégraphie en duo avec sa star préférée ! Du coup, les adolescent·es ont vraiment le sentiment d’être proches d’eux.
Squeezie, Furious Jumper, Tibo Inshape, c’est un peu la figure du grand frère qu’on veut imiter, qui nous montre la voie. Ces trentenaires TikTokers ont beaucoup de succès. Ils partagent les mêmes codes que les adolescent·es, mais ils ont quand même le côté « adulte » auquel ils aspirent.
Elodie Kredens, chercheuse en sciences de l’information et de la communication.
Une sexualisation des corps des ados qui peut poser problème
Il est de notoriété publique que sur internet comme partout, le sexy fait vendre. Certains accusent l’algorithme de Tik Tok de privilégier ce genre de contenus. Mais selon Elodie Kredens, ce sont les usages des individus qui déterminent la façon dont l’application va hiérarchiser ses vidéos. Or, les utilisateurs et utilisatrices de Tik Tok ne sont pas TOUS mineur·es. Les adultes sont bel et bien présents sur l’application, et leurs productions se mélangent à celles des plus jeunes.
Les challenges de danse se font sur des musiques actuelles dont les chorégraphies sont inspirées de celles des clips. Ainsi, nombreuses sont celles où les protagoniste adoptent des postures suggestives (par exemple le twerk). Et en reproduisant ces danses, les ados reproduisent également l’hyper-sexualisation inhérente à ces clips.
Tous les corps souvent peu vêtus qui défilent sur Tik Tok peuvent être troublants. Se comparer aux physiques « parfaits » qui pullulent sur l’application n’aide pas forcément à s’accepter lors les grands bouleversements de l’adolescence.
Quand on se filme seul·e devant son écran, on ne voit pas son public. Cela peut mener à une certaine distorsion de perception entre le personnage incarné sur Tik Tok et l’adolescent·e dans sa chambre. Des interactions inhabituelles apparaissent alors : compliments d’inconnu·es, ou au contraire, insultes et dénigrements. Pour résoudre ces problèmes, l’adolescent·e va devoir ajuster son comportement. Et c’est finalement à travers ces choix qu’il va construire peu à peu son identité de jeune adulte.
Protéger sans interdire, un équilibre difficile à trouver
Le plateforme est interdite aux enfants de moins de 13 ans, mais il arrive que certains mentent sur leur âge pour y accéder. Bien que les modérateurs et modératrices suppriment les contenus qu’ils jugent inappropriés, il est conseillé d’expliquer à sa progéniture l’importance de bien paramétrer son compte. Il est notamment possible de bloquer les messages directs d’inconnu.e.s, de désactiver les commentaires, de limiter l’apparition des vidéos qui peuvent heurter sa sensibilité et mettre son compte en privé pour limiter sa visibilité à ses ami·es.
Je sais que ma fille est inscrite sur Tik Tok. Je l’entends en parler avec ses copines quand elles viennent à la maison. Mais je ne veux pas me créer un compte juste pour regarder ce qu’elle y fait. Je ne saurais pas m’en servir ! Elle me dit qu’elle s’en sert seulement pour échanger des vidéos avec ses ami.e.s. J’espère que c’est vrai, et qu’elle n’y fait pas n’importe quoi. Car ce qu’on publie sur internet, ça reste.
Sylvie, mère de Lara, 14 ans
Aborder avec son enfant la notion d’identité numérique est également primordial : Quel type de vidéos produit-il/elle ? Qui peut voir ces vidéos ? Quels sont ses objectifs sur le réseau social ? Ces objectifs sont à distinguer de ceux des influenceurs et influenceuses. Ces dernier·es vivent de leur image et vont élaborer de vraies stratégies de communication, car si ils ou elles ne font pas le buzz, leur activité n’est pas rentable.
Finalement, beaucoup d’adolescent·es inscrit·es sur Tik Tok ne font que visionner des vidéos pour se divertir … mais n’en produisent pas eux-mêmes !
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