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Plus de 40 % de la population joue aux jeux vidéo. Les femmes représentent 52 % des joueurs. 63 % des Français de plus de 10 ans ont joué aux jeux vidéo. L’âge moyen des joueurs, aujourd’hui de 35 ans, est en constante augmentation. C’est le divertissement préféré des Français, et la première industrie culturelle dans le monde. En une poignée d’années, les jeux vidéo se sont positionnés comme une locomotive de l’économie numérique. Ce succès tient à des logiques de marché que les éditeurs de jeux savent habilement exploiter. Mais cette explication ne suffit pas !

Les jeux vidéo ont pu prendre cette place grâce à leurs qualités propres. Ils sont devenus un média incontournable parce qu’ils sont des objets de plaisir pur. Ils sont des manières de se mettre en lien avec soi-même et avec les autres. Mais ils sont aussi plus que cela. Ils sont une manière d’apprivoiser le futur.

Yann Leroux est docteur en psychologie et psychanalyste. Il étudie depuis de nombreuses années la dynamique des relations en ligne. Membre de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines, son expérience de joueur l’a amené à porter un autre regard sur le jeu. Il contribue, dans la lignée de psychanalystes comme Serge Tisseron, à porter un autre regard sur les médias. Inventeur du mot digiborigène, on le trouve sur Azeroth et sur des plateformes comme Twitter ou Facebook. Il a créé le blog de référence Psy&Geek.

 

Extrait :

Invité à l’émission Philosophie sur la chaine Arte pour parler du jeu, le philosophe Colas Duflo est tombé en arrêt devant une immense photographie qui montre un groupe de joueurs à une LAN party[1]. « Ils ont des têtes d’abrutis », commente-t-il. Le propos est symptomatique de l’écart qui s’est creusé en France entre des élites et les mondes numériques.

Ce commentaire laisse un gout amer. Il montre qu’un travail de transmission ne se fait pas. Il pointe une attaque en règle des pères contre les fils. Toute culture est basée sur la transmission. Les temps présents sont particuliers parce que les parents doivent transmettre à leurs enfants des éléments qu’ils ne maitrisent pas tout à fait, ou dont ils imaginent que leurs enfants les maitrisent déjà. Ce n’est cependant pas l’aspect décisif. On a déjà vu des parents soutenir des transmissions dont ils ignorent tout, comme lorsque des parents illettrés dans la langue du pays d’accueil soutiennent la scolarité de leurs enfants. Si aujourd’hui les illettrés des écrans ne soutiennent pas les apprentissages de leurs enfants, c’est bien plutôt du fait d’une position de mauvaise foi, qui a décidé par avance que ce qui vient des écrans est à priori suspect.

Il est une autre raison qui laisse à ces « têtes d’abrutis » un goût amer. Alors qu’une génération se prépare à gérer la gabegie de l’après-guerre, alors que nous prenons petit à petit conscience d’une fin possible que l’humanité, alors que plus que jamais nous avons besoin de nous appuyer sur les acquis de culture du passé, ceux qui doivent soutenir les transmissions s’en font les fossoyeurs. Les pères attaquent les plaisirs des fils, et tournent le dos aux intérêts des enfants. Ils se refusent de porter la culture. Ils se font thanatophores.

Pour la nouvelle génération, c’est un coup terrible. C’est toujours un obstacle pour une génération que d’avoir à grandir dans l’opprobre de la génération qui l’a précédé. Tout homme a besoin de se sentir en lien avec ce qui le précédait. Tout homme est aidé dans son développement lorsque ses actes reçoivent l’accord de ses pairs.

Les jeux vidéo ne sont pas une activité vaine et stérile. Ils sont des manières de se mettre en lien avec soi-même, et avec les autres. Mais ils sont aussi plus que cela. Ils sont une manière d’apprivoiser le futur. Il est évident que l’humanité aura à vivre au contact d’écrans et de machines, et que les limites entre les uns et les autres vont être remodelées.

Fiche Récap / Conseils aux parents : jeux-video-eric

Comment savoir si un usage intensif
des jeux vidéo est pathologique ? 

Différents facteurs permettent d’expliquer que certains jeunes basculent dans une pratique excessive et nocive des jeux vidéo :

  • les jeunes ont une incapacité « physiologique » à contrôler leurs impulsions : on estime que le contrôle des impulsions se met progressivement en place à l’adolescence mais qu’il est définitivement installé vers l’âge de 25 ans. D’où la difficulté pour certains jeunes de s’arrêter de jouer ;
  • les concepteurs des jeux vidéo exploitent cette vulnérabilité en mettant en place des systèmes de récompense/sanction (quête journalière, lootbox…) basés sur la peur de rater ou de perdre quelque chose d’important et entretiennent ainsi la dépendance des jeunes à leurs jeux. Ces stratégies sont inspirées de celles utilisées dans les jeux de hasard et d’argent, et accroissent le risque de jeu pathologique ;
  • les jeux vidéo peuvent représenter une échappatoire pour des adolescents en situation de mal-être qui utilisent le jeu vidéo comme un refuge, un moyen de fuir une réalité perçue comme difficile.

Serge Tisseron propose aux parents de poser trois questions à leur adolescent pour évaluer le niveau de risque lié à leur pratique des jeux vidéo.

  1. « Est-ce que tu joues seul ou avec d’autres ? ».
    L’adolescent qui joue seul, ou avec des inconnus, est le plus menacé par un usage désocialisant. En revanche, celui qui joue avec des camarades de classe qu’il retrouve la journée est le moins menacé.
  2. « Fais-tu des petits films à partir de tes jeux, filmes-tu tes performances avec tes copains dans les jeux en réseau pour les mettre sur Internet ? ».
    L’adolescent qui a une pratique de création doit être encouragé dans cette voie : les pratiques créatrices sur Internet ne sont pas seulement socialisantes. Elles sont aussi le meilleur antidote aux pratiques compulsives et désocialisantes.
  3. « As-tu pensé à faire ton métier dans les professions du jeu vidéo ? ».
    Ne pas vouloir penser à son avenir est mauvais signe. L’adolescent qui pense aux professions du jeu vidéo doit y être encouragé car cette filière est en pleine expansion.

Au final, et pour s’en tenir aux cas extrêmes : l’adolescent qui joue seul, n’a pas de pratique de création, et dit ne pas penser à son avenir présente un profil préoccupant. Une consultation médico-psychologique peut s’avérer utile.

En revanche, celui joue avec ses camarades, a des pratiques de création, même limitées, et réfléchit à son avenir, a seulement besoin que ses parents cadrent son temps d’écran et parlent avec lui de ses jeux et de ses créations.